Lorsque Vollard est allé acheter l'atelier de Cézanne, au début du siècle, chez la soeur du peintre, il était venu dans une charrette et l'âne c'était lui. Il allait partir lorsqu'il entendit une voix de femme qui l'appelait du haut de l'appartement qu'il venait de quitter et c'était la soeur de Cézanne qui l'appelait en lui disant :
- Monsieur! Vous en oubliez un.
Elle lui lança une toile par la fenêtre.
Le médecin qui soigna Van Gogh à Saint-Rémy reçut son portrait peint, en guise de "remerciement" je suppose. Et ce docteur profita de "l'aubaine" en mettant la toile à la fenêtre de son cabinet de jardin, pour ne pas prendre froid. Le tableau se trouve aujourd'hui au musée de Moscou.
C'est dans cet état d'âme de solitude que vit Laurent Zunino et il n'en parle pas, bien sûr. Les peintres sont des solitaires cachés.
Le pinceau, les couleurs, la lumière qui vient de "là-bas", les personnages créés et dont on se demande s'ils sont bien "chez eux".
Il y a un mouvement chez Zunino qui n'arrête pas. Ses personnages marchent vers où ? Lui seul le sait.
Le secret de la peinture, un jour, quelqu'un le découvre et le divulgue.
C'est ça la solitude du peintre, celle qu'on leur invente, celle qui les trahit quand on se trompe. Laurent Zunino est seul et il tremble au bout de son pinceau en cherchant le génie qui est devant sa porte. Poussez la porte !
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Le peintre a la vie dans ses doigts et nous ne la savons pas. Il voit ce qu'il ne faudrait pas voir, c'est-à-dire, l'informulé, la distance fatale qu'il y a entre son pinceau et sa toile. Nous ne sommes pas au monde, nous crie-t-il, avec ses couleurs...
Et nous sommes au monde, tragiquement, sans le savoir. Lui, Laurent Zunino, le sait et reste seul dans ce qu'on appelle le génie.
Salut, Laurent!
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Ces deux textes de Léo Ferré écrits pour Laurent Zunino ont été édités à l'occasion des vingt ans de la mort du poète dans:
"Léo Ferré, les chants de la fureur"
Gallimard/La mémoire et la mer